La sauvegarde du patrimoine se heurte souvent à l’indifférence de nos contemporains, parfois même à des réactions hostiles : pourquoi garder ces vieilleries ?
Dans certaines situations extrêmes, les conservateurs ont à faire face à des attitudes résolument destructrices, comme si le progrès ne pouvait éclore qu’à la condition de faire table rase du passé. Détruisons ces icônes, éliminons ces témoignages matériels de nos approches imparfaites !
Et pourtant…
Les conservateurs, les restaurateurs, qu’ils soient amateurs ou professionnels sont tous animés par un élan fondamental : Conserver le patrimoine, c’est préserver le savoir-faire des Hommes, c’est aussi conserver la démarche créatrice, avec ses fulgurances, son génie et parfois ses faiblesses.
Fort heureusement, les efforts de ces amoureux de symboles figés dans le temps sont parfois récompensés par des histoires improbables et pourtant réelles.
Celle qui vient d’arriver au Bréguet Deux-Ponts des Ailes Anciennes Toulouse, en fait assurément partie. L’histoire de notre Bréguet Deux-ponts démarre en 1985 à Évreux où notre avion était parqué depuis son dernier vol.
Elle commence par le service militaire d’un appelé affecté à la base aérienne 105 d’Évreux en 1984. Cette base abritait quelques appareils hors service dont deux Bréguet Deux-ponts. Le dernier assemblé – le 504 – était destiné à la destruction. À cette époque, ces vétérans aéronautiques terminaient leur carrière au bûcher ! Mais pour la bonne cause, en servant de cobaye aux pompiers de la base. Quelques centaines de litres de carburant et le vénérable avion partait en fumée, sa carlingue se figeant sous le manteau de mousse déversée par les lances incendies. Apprenant le sort qui était réservé au 504, le jeune appelé devenu chef d’agrès sur un des véhicules incendie, monte dans le Bréguet armé d’un tournevis et d’une pince coupante et sauve quelques équipements. La centrale inertielle lui résiste, elle restera à bord.
Septembre 1985, l’appelé quitte les drapeaux, rentre à Nantes, sa ville natale avec dans son paquetage les précieuses reliques, en laissant le Bréguet à son triste sort. Pour lui, une carrière civile commence à l’Université de Nantes.
Le 504 est finalement épargné grâce aux actions des anciens de l’Association toulousaine. Après trois campagnes (1985 à 1987) de démontages et de transports il est intégré dans la collection naissante.
Depuis cette date le Bréguet Deux-ponts, grâce à l’implication et l’intervention de nombreux bénévoles, a bénéficié de maintes restaurations. Même s’il y a eu de grandes avancées, le chantier est loin d’être fini.
Le temps passe, puis le jour de Noël 2022, Patrice LE MAO, président de l’association Le Deux-ponts de l’Eure reçoit un courriel énigmatique d’un certain Christophe PLOT. Vous l’avez deviné, ce n’est autre que cet appelé qui a maintenant 60 ans ! Il a des informations à transmettre.
C’est après avoir vu la vidéo montrant la fabrication des répliques des manches, qu’il décide de contacter l’association normande. Il pensait que les équipements en sa possession étaient ceux du Bréguet Deux-ponts d’Évreux. Patrice Le Mao lui apprend l’existence d’un deuxième Bréguet Deux-ponts stationné sur la base dans les années 1980. Il lui annonce donc que celui qui devait être incendié a été sauvé et qu’il se trouve maintenant propriété des Ailes Anciennes Toulouse.
Patrice Le Mao contacte Yves Martin, son correspondant membre de l’association toulousaine, pour prendre le relais.
Cette histoire est aussi une histoire d’hommes. Entre Yves, Patrice et Christophe, le courant passe vite, la même passion les anime dans la sauvegarde du patrimoine. Pour Yves et Patrice, c’est évidemment l’aéronautique ! Comment pouvait-il en être autrement pour Yves, cet ancien d’Airbus et que dire de Patrice, ou devrions-nous dire : Le Colonel Patrice Le Mao, ancien commandant en second de la base 105 ! Quant à Christophe, ingénieur de recherche, il est membre de la mission de sauvegarde du patrimoine scientifique et technique de l’Université de Nantes.
Au cours des échanges, à mi-janvier, une sélection de photographies des étapes du démontage et transport de l’avion, ainsi que des étapes marquantes de la restauration à Toulouse a été transmise. Souvenirs, souvenirs pour l’appelé puisque, à la date des premières photos, il était encore sur la BA 105.
Peu de jours après, Yves reçoit les deux équipements : un indicateur de position des volets moteurs et un moteur commandant une vanne du circuit carburant à l’état neuf. L’équipement s’intègre dans un panneau auxiliaire supérieur du cockpit. Le moteur était très certainement accessible depuis le pont inférieur dans le plan central.
Après une séparation de presque 40 ans les deux équipements retrouvent leur avion d’origine : belle histoire qui complétera la présentation de ce 20ème et dernier Bréguet Deux-ponts qui est faite aux différents visiteurs.
Merci à ce donateur et à nos confrères de l’Association Le Deux-ponts de l’Eure.
Moteur du circuit de carburant à gauche et indicateur de volet à droite.